dimanche 8 décembre 2013

La vie


Il est 13h25. Dimanche.
La messe, le marché. Il fait beau à en crever dans le ciel d'hiver.
Le soleil nous dilate dans l'espace du monde. Chaque être irradie, augmenté, étend sa surface spatialisée. Les ombres sont des puits, découpées nettes sur le bitume. Les voitures qui passent chuintent comme la marrée. Les roues frôlent le sol avec la douceur lourde des vagues. Et le bruit de leurs passages nous fait l'écho du coquillage. Il croit et décroît, cataracte répétée. Le sable lumineux du temps qui passe. Sablier inversé, suspendu, ralenti. Les minutes s'écoulent comme un verre qui déborde. Assise sur un porche quelconque comme échouée sur un rivage nouveau je goûte la paix stellaire. S'arrêter sur le bord du chemin. L'éternel retour. Joyeuse et profuse tyrannie nietzschéenne. La vie. La rue est un long fleuve qui se déroule et charrie ses bateaux, branches et feuilles emmêlées, poissons pierres algues tôles cadavres et poussières.
Les rayons sonnent cuivrés comme après l'orage, et caressent la rue lasse, gorgée de lumière, langoureuse, avachie, accoudée au goudron gourd, sensuelle comme une odalisque. Hydrique paix lubrique. Suinte de ses plis l'étendue cosmique. La voilà qui s 'étire, lumineuse, s'évapore, dans la dense transparence du voile du danseur. Chance encensée d'ascenseurs. De terribles et tumultueux volutes, moribonds intangibles amoureux, tueurs de ténèbres merveilleux. Divulgateurs de clarté hors du cloître, hydres diffus : fumeuse et solaire légèreté moite.
"Dans la ville humiliée,
semons la où il y a
de l'eau."

Françoise N. 70 ans. Lui parler une heure dans la rue radiante de douceur constellée.

Si vous pouviez voir la façon qu'à ce rayon de tomber sur la vasque de verre aux clémentines agglutinées! Déjà il passe, il a passé. Il heurte l'assiette qui sèche, au fond, redéfini son lieu, à l'unisson. Présence intensifiée. Il est 16h39. Et le temps s'étire avec une souple mollesse. On respire mieux, et sans savoir si l'air est moins lourd ou plus large notre cage thoracique. S'opère une curieuse dilatation générale de la surface éclairée, physique et symbolique. C'est comme si le vide avait changé de statut. Comme s'il s'était activé, était devenu énergie pure. Avait donné sens, donné corps à la matière. Une contraction dilatante, mais non. Un rapprochement mais qui laisse lisible. Comme un calque griffonné, une pièce de broderie, est magnifié sur le contre jour de la fenêtre. Intelligiblement cohérent. Une transpercion immanente. Le vide est vie comme le lien est lieu. Et la lumière s'imprime sur la plaque argentique. Tout est matière, ou rien ne l'est. Sur la rétine s'inscrit les mondes visibles et invisibles.
J'ai vu, rentrant, l'avion sur la branche. Comment comprendre quel espace les séparent: ils sont mitoyens. Ici se cristallise la poétique physique et la philosophie symbolique. L’œil et l'esprit. Dois je encore le nommer? Merleau-Ponty.
Image, en langage des sourds, est un arrêt palpitant. Deux mains ouvertes, dressées, paumes opposées à vous, pouces dissociés à l'équerre. Puis frémissement, de droite à gauche, interpénétration, ballet croisé des extrémités tactiles. Elle est là, l'image, devant vous, insaisissable. Si près extrêmement loin.
La main façonne ce que seul l’œil peut atteindre.
Le muet tableau.




vendredi 22 novembre 2013

Pierrot le fou


Sans cesse le cerveau humain associe, hiérarchise, met en lien ce qui est perçu avec ce qui est déjà connu. A la vue d'un film, chaque image captée par l’œil est automatiquement augmentée d'émotions issues de nos expériences passées, chargée d'un sens qui nous est propre, selon nos goûts, notre sens de l'humour, notre connaissance du monde. Ainsi, de l'autre côté de nos yeux se déroule, parallèlement à la surface, le film absurde de nos associations d'idées, souvenirs, projets. Autant de flashs subliminaux,.

Le montage expérimental ci-dessus est le résultante de vidéos présentes dans mon ordinateur lors du visionnage de film Pierrot le fou (1968, Jean-Luc Godard). L'ordinateur est aujourd'hui notre prothèse mémorielle: une perte de données nous rend amnésique, maladif, inconsolable, parfois proche de la folie.

Ce travail d'archives est concocté "à la Godard" : l’enchaînement des plans, leurs possibles inversions et répétitions bousculent nos logiques linéaires. Mais l'ordre chronologique d'apparition des images, subit, nous oblige à mettre du sens entre leurs juxtapositions. 

Laissé face à lui même, le visionneur doit lui même trouver sa propre cohérence. 
Et tourner en interne son propre film mental.
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mardi 5 novembre 2013

Relier

RELIER, du verbe latin
ligare: lier, attacher, nouer, joindre, unir

et de son nom, ligo: pioche, houe, (et par métonymie) agriculture
------>(auquel nous adjoignons le préfixe) re+ligare: lier à nouveau
------>ce mot est à l'origine des termes religion, reliure




Sens courants:

1-Lier de nouveau, refaire le nœud qui liait et qui est défait. 
Relier une gerbe de blé, une botte de foin.
 
2-Unir, rattacher, mettre en rapport.

"Il est en effet incontestable qu'à une époque, le détroit de Behring qui sépare aujourd'hui l’Asie de l’Amérique était remplacé par un territoire qui reliait les deux continents" 
René Thévenin & Paul Coze, Mœurs et Histoire des Indiens Peaux-Rouges, Payot, 1929

"En cette saison printanière de l'année, quand l'air est doux et plaisant, ce serait une injure à la nature et vraiment dommage de ne pas aller dehors voir sa magnificence et partager sa façon de relier le ciel et la terre." John Milton


3-Coudre ensemble les feuillets d’un livre et y mettre une couverture.
Faire relier un livre en maroquin, en veau, en chagrin, en basane, en toile, etc.
Cet ouvrier relie bien, relie proprement, solidement.


4-Remettre ou mettre des cercles, des cerceaux à une barrique, à un tonneau, à une cuve ou à d’autres futailles.
La vendange approche, faites relier vos futailles! 



Typologie d'une "salle" publique au centre de BayMOO, 
plexiglace, réalisation de Peter Anders et ses étudiants 
Thomas Vollaro et Susan Sealer.


Image issue d'une étude de visualisation de NFSNET, 
 Donna Cox et Robert Patterson, NCSA, 1992  
 Les trois visuels précédents sont issus d'un site de recherche en cyber-géographie(lien): Un Atlas des Cyber-espaces
Carte maritime polynésienne: représentation des courants

Réseau de câbles sous-marins en 1901
Les deux précédentes viennent de l'incontournable site de La Boite Verte(lien).

samedi 12 octobre 2013

Préjugés savoyards

    J'imagine qu'un jour, des mecs de la Savoie d'en haut en ont eu marre qu'on les confondent avec ceux de la Savoie d'en bas. Alors ils sont partis encore plus haut dans les montagnes, avec des vaches à lait et du bois à chalet, en postant quelques mecs près des lacs parce que quand même, on va pas leur laisser ça, aux autres.
C'est comme ça qu'est née la Haute-Savoie.

    Aujourd'hui là bas, il y a des fromages immenses que les hauts-savoyards font sécher au creux des montagnes. Les gens mangent de la fondue en parlant et chantant fort pour oublier qu'ils ont froid. Comme ils sont sympas, ils filent parfois un peu de lait aux voisins suisses, pour les chocolats. Ils les trouvent un peu péteux quand même avec leurs montres, mais ils s'en foutent parce que d'abord ils sont plus grands et voient plus loin qu'eux, du haut de leurs montagnes. Là-haut, voilà bien des siècles qu'ils ont l'eau courante: des sources plus ou moins neigeuses viennent chatouiller les pieds des maisons.
    C'est un peuple aux cheveux blonds qui aime à se parer de salopettes vertes, de calicots blancs et de pantalons rouges. Les petites filles ont des fichus et ornent leurs tresses de fleurs de prairies cueillies entre deux marmottes. Les savoyards habitent des maisons aux toits plus pointus que chez moi, parce que le Ciel leur envoie plus de trucs sur la tête. Le genre de cadeau dont parfois on se passerait, mais qu'on ose pas refuser parce qu'on est poli. Sauf qu'à force d'être trop polis, ils finissent coincés dans la neige et ils sont forcés d'inventer des trucs en bois pour glisser dessus. Ça a donné les luges, les skis, les traîneaux et autres prothèses du même genre. Tenir en équilibre dessus est devenu un sport à la mode et une source de fierté pour qui y parvient avec élégance.
    Autre détail remarquable, les savoyards ont des chiens hauts comme la moitié d'un homme qui gardent les troupeaux et ramènent les blessés victimes d'avalanche. Ils les stockent dans des refuges au plafond bas et au feu pétillant ou des condiments pendent du plafond. Là, on les abreuve de mystérieux breuvages alcoolisés à base de plantes revigorantes qu'on ne trouve qu'ici.
Parfois, les hauts-savoyards partent à la chasse au dahut, avec un gros fromage et sur des skis (louable performance).
Ils reviennent souvent bredouille.

mercredi 9 octobre 2013

James Hunting

James Hunting est un "embroiderer", un artiste pour qui la couture n'est vouée qu'à des fins décorative: la broderie.
Ci-dessous des échantillons apportés lors d'un atelier organisé lors de l'événement Aiguilles en fête, février 2013. (Les photos proviennent du blog de Citronnelle-églantine, qui elle même y participait).

Ce qui me fascine, c'est leur potentiel cartographique, le pouvoir d'évocation de la matière silencieuse, du fil qui tisse, tend, relie. Dans le tissu, le support et l'action ne font qu'un, et, de même, le geste passé transparaît, dynamique, dans le présent de l'objet muet.







Pour plus de travaux, allez donc voir son site en cliquant ICI !


Sandra Dufour

Sandra Dufour fait de magnifiques illustrations, et avec du tissu! Livres pour enfants, ateliers de concertation avec des habitants, et très beaux morceaux de paysage. Merci à Léo J. pour cette découverte.


 
Festival de Chaumont-sur-Loire, 2011

Mette et les cygnes sauvages octobre 2012
Tissu urbain, Saint-Quentin-en-Yvelines, février 2009

Ma ville dans un mouchoir
Cité nationale de l'histoire de l'immigration 2012

Sérigraphies brodées
Chatel 2011, Broderie 139 x 88 cm

Illustrations pour Psychologie magazine
...et bien plus en cliquant ICI !

vendredi 6 septembre 2013

Voyages

Paysage et dépaysement.
Les gares, des portes d'entrée de villes. Toutes les mêmes. On les repère de loin. Les reconnaît. Elles rassurent. Zones transitionnelles vers l'ailleurs, après la digestion du train. Transit. Transport. Hommage à Combet.
Je me demande souvent dans quelle mesure tous ces déplacements sont des arrachements. Combien d'énergie physique et psychique ils nous coûtent. Comment notre être parvient il a recomposer l'espace, se reterritotialiser sans oublier des particules de soi. Je pense au dématérialiseur de Willy Wonka. Décomposer, recomposer. Déformer, métamorphoser. Transformer.
Je me demande en quoi les voyages nous apportent. Nous transportent. Nous importunent. Nous déportent, nous exportent, nous emportent. Nous abîment, nous animent, nous subliment. Depuis quand exactement la machine s'est elle emballée, cette exponentielle augmentation (frénétique?) du déplacement? Jusqu'à la contemporaine et constante utopie: le non lieu des boyaux transitionnels, qui brouillent le réel.
Quelle vision du paysage à travers le cadre de la fenêtre? Histoire réactualisée de la veduta picturale à l'âge cinématographique. Un tableau en mouvement, ou s'enchaînent les plans publics. Mais s'ils ne sont pas privés, sont-ils moins intimes? La fenêtre ne nous permet elle pas justement, en cadrant, en cachant, une proximité presque tactile avec le paysage vu? Une pure continuité d'hétérogène. Bergson.
Et comment réagissons nous intérieurement à notre passivité corporelle? Autour de nous, qui faisons corps avec l'espace du train, de la voiture, de l'avion (spécificité qu'il faudra développer) tout change. Corps machinique, certes, et en mouvement. Corps en mouvement, particules élémentaires. Rien ne se perd ni ne se crée. Tout se transforme.



***
C'est toujours la même chose qui m'habite. Les marges, les bords, les délimitations. Les confins. Les hors champs, hors cadre. La tension entre le dedans et le dehors. Entre ce qui est vu et ce qui est caché. Mais surtout le fil, l'horizon entre. L'équilibre qui ne doit pas être rompu. D'où les îles, les vedutas, l'érotisme. La crèche et l'Hostie. Les maisons abandonnées. Les cabanes.

vendredi 28 juin 2013