Il est
13h25. Dimanche.
La messe,
le marché. Il fait beau à en crever dans le ciel d'hiver.
Le soleil
nous dilate dans l'espace du monde. Chaque être irradie, augmenté,
étend sa surface spatialisée. Les ombres sont des puits, découpées
nettes sur le bitume. Les voitures qui passent chuintent comme la
marrée. Les roues frôlent le sol avec la douceur lourde des vagues.
Et le bruit de leurs passages nous fait l'écho du coquillage. Il
croit et décroît, cataracte répétée. Le sable lumineux du temps
qui passe. Sablier inversé, suspendu, ralenti. Les minutes
s'écoulent comme un verre qui déborde. Assise sur un porche
quelconque comme échouée sur un rivage nouveau je goûte la paix
stellaire. S'arrêter sur le bord du chemin. L'éternel retour.
Joyeuse et profuse tyrannie nietzschéenne. La vie. La rue est un
long fleuve qui se déroule et charrie ses bateaux, branches et
feuilles emmêlées, poissons pierres algues tôles cadavres et
poussières.
Les rayons
sonnent cuivrés comme après l'orage, et caressent la rue lasse,
gorgée de lumière, langoureuse, avachie, accoudée au goudron
gourd, sensuelle comme une odalisque. Hydrique paix lubrique. Suinte
de ses plis l'étendue cosmique. La voilà qui s 'étire,
lumineuse, s'évapore, dans la dense transparence du voile du
danseur. Chance encensée d'ascenseurs. De terribles et tumultueux
volutes, moribonds intangibles amoureux, tueurs de ténèbres
merveilleux. Divulgateurs de clarté hors du cloître, hydres
diffus : fumeuse et solaire légèreté moite.
"Dans la ville humiliée,
"Dans la ville humiliée,
semons la
où il y a
de l'eau."
de l'eau."
Françoise
N. 70 ans. Lui parler une heure dans la rue
radiante de douceur constellée.
Si vous pouviez voir la façon qu'à ce rayon de tomber sur la vasque
de verre aux clémentines agglutinées! Déjà il passe, il a passé.
Il heurte l'assiette qui sèche, au fond, redéfini son lieu, à
l'unisson. Présence intensifiée. Il est 16h39. Et le temps s'étire
avec une souple mollesse. On respire mieux, et sans savoir si l'air
est moins lourd ou plus large notre cage thoracique. S'opère une
curieuse dilatation générale de la surface éclairée, physique et
symbolique. C'est comme si le vide avait changé de statut. Comme
s'il s'était activé, était devenu énergie pure. Avait donné
sens, donné corps à la matière. Une contraction dilatante, mais
non. Un rapprochement mais qui laisse lisible. Comme un calque
griffonné, une pièce de broderie, est magnifié sur le contre jour
de la fenêtre. Intelligiblement cohérent. Une transpercion
immanente. Le vide est vie comme le lien est lieu. Et la lumière
s'imprime sur la plaque argentique. Tout est matière, ou rien ne
l'est. Sur la rétine s'inscrit les mondes visibles et invisibles.
J'ai vu,
rentrant, l'avion sur la branche. Comment comprendre quel espace les
séparent: ils sont mitoyens. Ici se cristallise la poétique
physique et la philosophie symbolique. L’œil et l'esprit. Dois je
encore le nommer? Merleau-Ponty.
Image, en
langage des sourds, est un arrêt palpitant. Deux mains ouvertes,
dressées, paumes opposées à vous, pouces dissociés à l'équerre.
Puis frémissement, de droite à gauche, interpénétration, ballet
croisé des extrémités tactiles. Elle est là, l'image, devant vous,
insaisissable. Si près extrêmement loin.
La main
façonne ce que seul l’œil peut atteindre.
Le muet
tableau.