Quoiqu'on en dise, faire de l'art,
c'est crier « j'existe! »
Bien sur, ce n'est pas, heureusement,
qu'une affirmation mégalo de l'ego. On ne pourra jamais ôter à
l'art son rôle didactique et métamorphique : éducation du
regard et transformation de l'être au monde.
Cependant, toucher à l'art, c'est
fleurter avec l'immortalité. Et nul ne sait, de son vivant, si
l'union sera fructueuse, sans tromperie ni abandon. Le jeu en vaut la
chandelle, c'est le cas de le dire, et ce pour deux raisons :
l’œuvre est ce jeu avec le réel dont l'auteur espère l’éternel
éclat.
Au « grand travailleur »
(Nietzsche) qu'est l'artiste, la seule richesse qui semble valable
est de résister au temps qui passe, rester dans la mémoire. Cette
richesse supporte toutes les pauvretés du monde réel : manque
d'argent, mépris, indifférence. Voilà pourquoi la création est
folie, qui chérit -par avance, sans certitude d'une possible
conscience- la mort et le souvenir post-mortem plutôt que l'opulence
possible du vivant. (Bien sûr, certains jouissent des deux !)
Cette « nécessite intérieure » (Cézanne) n'est
peut-être qu'une fuite, qu'un désir inavoué de mort, et de
sublimation par le souvenir laissé -matérialisé dans les œuvres-
de feu l'artiste.
Retour au feu. Prométhée. Vanité.
« Quand la mort m'endormira, je
continuerai à rêver de toi » dit Yaseen, l'artiste de la rue.
La poésie, c'est le rêve. Le rêve, le désir, se prolonge au-delà,
par-delà (parfois même par le contexte lui-même de) la mort.
Voilà pourquoi l'art est un rêve qui
floue les limites temporelles. Vient un moment où, confronté à la
beauté, l'homme se tait et se fout du temps qui passe. Le rêve,
l'art, c'est le silence. Une image qui vaut plus que mille mots. Dans
sa vulnérabilité muette, elle appelle, le dit si bien Hegel. J'ai
encore trop peur d'enlever les mots aux images. Le jour où je
produirai une image qui se passe de mots, alors je pourrai dire que
je commence à comprendre l'essence du monde. J'aurai trouvé un
symbole. C'est cela un symbole : quelque chose qui
résonne/raisonne dans le silence, qui vibre. Qui existe seul dans
l'autonomie du rêve. Une image symbole, c'est une image qui devient
à tous. Qu’importe l'auteur, si elle me touche, elle est à moi,
elle est moi. Elle devient structurante de mon être. Même si elle a
l'effet d'un imperceptible murmure d'eau au fond de mon âme, même
en-deçà de la conscience, je ne peux plus vivre comme avant. Comme
le rêve influence la vie et la vie influence le rêve, ainsi l'image
trouve en nous un écho. Qu'importe le statut de l'image, tableau de
musée, photo d'album, dessin d'enfant, visuel de magasine, publicité
même !...qu'importe son prix, son contexte si, à l'instant où
je la vois, elle demeure. Ainsi nous sommes des êtres hantés
d'images, plus ou moins conscients de ces démons familiers qui
brassent en nous les sentiments, s'intercalent dans nos souvenirs,
influençant nos actes et nos émotions.
Faire de l'art, c'est produire des
images. Est-ce le cas pour la musique, l’écriture ? Des
images, là aussi ? Qu'importe, leur manière de nous
influencer, inspirer (au sens de souffle, nouvel air, respiration)
est la même. Peut-on vivre sans art, sans ce rêve, cette illusion
qui se mêle au réel et nous encarte ? Sans cette mer
intérieure au flux et reflux qui nous heurte et nous berce ?
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